Le Secret Professionnel
Définition du secret professionnel
Le secret professionnel est l'obligation imposée à un professionnel de ne divulguer à quiconque les renseignements qu'il obtient de son client dans l'exercice de sa profession.Ce secret est un devoir de discrétion qui s'impose au professionnel. Celui-ci ne peut généralement pas divulguer à des tiers les confidences de son client. L'obligation au secret peut découler d'une loi, d'un règlement ou encore d'un rapport contractuel. On pourrait décrire le principe comme une immunité ou encore un privilège qui restreint la recevabilité de la preuve et rend de cette façon la découverte de la vérité plus difficile1.
Les personnes soumises au secret professionnel
La loi est la première source de droit en ce qui concerne l'imposition du secret professionnel. Dans la province de Québec, toutes les personnes membres d'une corporation professionnelle selon le Code des professions2 sont soumises au secret professionnel. L'obligation édictée par le code vise toutes les corporations professionnelles. Ces dernières sont tenues d'adopter, dans leur code de déontologie, des dispositions visant à interdire toute divulgation des renseignements confidentiels obtenus lors du rapport privilégié entre le professionnel et son client.
En réalité, seules les personnes exerçant une profession sont soumises au secret professionnel. Cependant, les personnes qui rendent des services sans être membre d'une corporation professionnelle sont tout de même soumises à une obligation de confidentialité si elles travaillent dans un établissement de santé. Comme exemple, voici l'obligation imposée en matière de confidentialité aux infirmières et infirmiers :
«Le professionnel en soins infirmiers doit respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle obtenu dans l’exercice de ses fonctions.»
D'une autre part, le Code de déontologie des médecins formule une obligation qu'on pourrait qualifier de plus rigide :
«Le médecin doit garder secret ce qui est venu à sa connaissance dans l'exercice de sa profession ; il doit notamment s'abstenir de conversations indiscrètes au sujet de ses patients ou des services qui leur sont rendus ou révéler qu'une personne a fait appel à ses services à moins que la nature du cas l'exige.»3
En sus des professions mentionnées précédemment, les mandataires, associés et employés du professionnel sont également soumis au devoir de garder le secret professionnel. Par exemple, un psychologue ou un psychiatre mandaté par un avocat doit s'assurer que son rapport demeura confidentiel. Ainsi, les juristes ont pour obligation d'avoir l'assurance que les personnes qu'ils engagent ne divulgeront pas les confidences reçues lors des échanges avec leurs clients.
La portée du secret professionnel
L'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne4 du Québec stipule ceci :
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1.ROYER, J.-C., Le secret professionnel - Règles générales dans La preuve civile, 3e édition, 2003, EYB2003PRC44
2.Code des professions L.R.Q., c. C-26, art. 37
3.R. c. Dersch , [1993] 3 R.C.S. 768, 778; McInerney c. MacDonald , [1992] 2 R.C.S. 138, 147-148
4.Charte des droits et libertés de la personne L.R.Q., c. C-12, art. 54
« Chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autres ministres de culte ne peuvent, même en justice, divulger les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.»
Il n'y a que deux situations où le professionnel est en droit de révéler l'information protégée par le principe du secret professionnel. La première est celle où la personne qui lui a confié un secret est consentente à ce que le renseignement soit révélé. Quant à elle, la deuxième situation est celle où une disposition expresse de la loi autorise le professionnel à révéler l'information sans le consentement de la personne auteure de la confidence.
Dans le premier cas, le titulaire du droit au secret doit autoriser de façon claire et volontaire son intention de renoncer à son privilège. De plus, ce dernier doit dans tous les cas connaître l'existence de son droit. La renonciation doit toujours être interprétée de manière spécifique et non de manière générale5. Une personne n'est également jamais présumée avoir renoncé à son droit.
Ainsi, le secret professionnel est un droit pour celui qui fait la confidence et un devoir pour celui qui la reçoit. Le titulaire du droit peut toujours y renoncer de façon expresse ou tacite. Ce dernier y renonce explicitement lorsqu'il autorise formellement le professionnel à divulger l'information et il y renonce implicitement lorsque sa renonciation peut être interprétée par les faits. Par exemple, ce dernier cas pourrait être celui où un client amène avec lui un proche lors d'une rencontre avec un professionnel, le client sera alors reconnu avoir renoncé implicitement à son droit vis à vis le proche en question.
Exceptions au principe du secret professionnel
Maladies à déclaration obligatoire
Par souci de protéger la santé publique en prenant les mesures appropriées selon le cas, la loi prévoit certains mécanismes de transmission de l'information. Un de ceux-ci est la déclaration obligatoire de certaines maladies. En effet, la Loi sur la protection de la santé publique5 oblige tout médecin à dévoiler au ministre de la santé et au directeur de la santé publique de la Régie régionale, tous les cas de maladies vénériennes ou de maladies à déclaration obligatoire. La première catégorie peut être énumérée ainsi : la syphilis, les infections gonoccociques, le chancre mou, la lympho-granulamatose vénérienne et le granulome inguinal.
La liste des maladies à déclaration obligatoire est beaucoup plus longue. Elle peut être retrouvée aux articles 28 à 34 du Règlement d’application de la Loi sur la santé publique6. On ajoute régulièrement de nouvelles maladies à la liste de ce règlement. Il s’agit pour la plupart de maladies contagieuses ou graves, parmi lesquelles on retrouve le choléra, la rage, la rubéole, la tuberculose et le SIDA.
La protection de la jeunesse
L'autre exception au droit à la confidentialité et au secret professionnel se retrouve dans la Loi sur la protection de la jeunesse7 :
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5.Loi sur la santé publique L.R.Q., c. S-2.2, art. 22
6.Règlement d'application de la Loi sur la santé publique D. 756-2003, (2003) 135 G.O. II, 3314 [S-2.2, r. 1]
7.Loi sur la protection de la jeunesse L.R.Q., c. P-34.1
Article 39 : «Tout professionnel qui, par la nature même de sa profession, prodigue des soins ou toute autre forme d’assistance à des enfants et qui, dans l’exercice de sa profession, a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d’un enfant est ou peut être considéré comme compromis au sens de l’article 38.1, est tenu de signaler sans délai la situation au directeur ; la même obligation incombe à tout employé d’un établissement, à tout enseignant ou à tout policier qui, dans l’exercice de ses fonctions, a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d’un enfant est ou peut être considéré comme compromis au sens de ces dispositions.
Toute personne autre qu’une personne visée au premier alinéa qui a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d’un enfant est considéré comme compromis au sens du paragraphe g de l’article 38 est tenue de signaler sans délai la situation au directeur.Toute personne autre qu’une personne visée au premier alinéa qui a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d’un enfant est ou peut être considéré comme compromis au sens des paragraphes a, b, c, d, e, f, ou h de l’article 38 ou au sens de l’article 38.1, peut signaler la situation au directeur.Les premiers et deuxième alinéas s’appliquent même à ceux liés par le secret professionnel, sauf à l’avocat qui, dans l’exercice de sa profession, reçoit des informations concernant une situation visée à l’article 38 ou 38.1.»
Article 38 : «SÉCURITÉ ET DÉVELOPPEMENT D’UN ENFANT. Aux fins de la présente loi, la sécurité ou le développement d’un enfant est considéré comme compromis :
1. si ses parents ne vivent plus ou n’en assument pas de fait le soin, l’entretien ou l’éducation ;
2. si son développement mental ou affectif est menacé par l’absence de soins appropriés ou pas l’isolement dans lequel il est maintenu ou par un rejet affectif grave et continu de la part de ses parents;
3. si sa santé physique est menacée par l’absence de soins appropriés ;
4. s’il est privé de conditions matérielles d’existence appropriées à ses besoins et aux ressources de ses parents ou de ceux qui en ont la garde ;
5. s’il est gardé par une personne dont le comportement ou le mode de vie risque de créer pour lui un danger moral ou physique;
6. s’il est forcé ou incité à mendier, à faire un travail disproportionné à ses capacités ou à se produire en spectacle de façon inacceptable eu égard à son âge ;
7. s’il est victime d’abus sexuels ou est soumis à des mauvais traitements physiques par suite d’excès ou de négligence ;
8. s’il manifeste des troubles de comportement sérieux et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de leur enfant ou n’y parviennent pas.
Toutefois, la sécurité ou le développement d’un enfant n’est pas considéré comme compromis bien que ses parents ne vivent plus, si une personne qui en tient lieu assume de fait le soin, l’entretien et l’éducation de cet enfant, compte tenu de ses besoins.»
Article 38.1. «La sécurité ou le développement d’un enfant peut être considéré comme compromis:
a. s’il quitte sans autorisation son propre foyer, une famille d’accueil ou une installation maintenue par un établissement qui exploite un centre de réadaptation ou un centre hospitalier alors que sa situation n’est pas prise en charge par le directeur de la protection de la jeunesse;
b. s’il est d’âge scolaire et ne fréquente pas l’école ou s’en absente fréquemment sans raison;
si ses parents ne s’acquittent pas des obligations de soin, d’entretien et d’éducation qu’ils ont à l’égard de leur enfant ou ne s’en occupent pas d’une façon stable, alors qu’il est confié à un établissement ou à une famille d’accueil depuis un an.»
Ainsi, à l'exception de l'avocat, tout professionnel, même celui soumis au principe du secret professionnel, qui a un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est compromis, est tenu de signaler sans délai la situation au Directeur de la protection de la jeunesse dans un centre de services sociaux. Cette obligation s'applique à tous les professionnels qui, par la nature de leur profession, prodiguent des soins ou toute autre forme d'assistance à des enfants, à tout employé d'un établissement, à tout enseignant et à tout policier, lorsque ces personnes, dans l'exercice de leur profession ou fonction, ont un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est ou peut être considéré compromis. De plus, toute personne qui possède des soupçons quant à la sécurité d'un enfant peut signaler la situation au directeur. Elle est cependant tenue de le faire si un enfant est victime d'abus sexuels ou est soumis à des mauvais traitements physiques8.
Le secret professionnel tel qu'interprété par les tribunaux
La Cour suprême du Canada a établi dans l'arrêt Slavutych c. Baker9 le pouvoir discrétionnaire des tribunaux de protéger plusieurs communications confidentielles qui peuvent se soumettre aux quatre conditions du test de Wigmore10. De plus, dans l'arrêt Descôteaux c. Mierzwinski11 , la Cour suprême a reconnu que la confidentialité des communications entre un client et son avocat était non seulement une règle de preuve, mais aussi un principe de droit fondamental10 .
La relation privilégiée qui existe entre un avocat et son client est aujourd'hui de toute évidence protégée par la règle du secret professionnel, la jurisprudence l'a plusieurs fois confirmé. Il est donc de nos jours inutile de faire la démonstration du droit au secret, comme l'affirme le juge Lamer dans l'arrêt Descôteaux c. Mierzwinski :
«Il n'est pas nécessaire de procéder à la démonstration de l'existence du droit d'une personne à la confidentialité des communications avec son avocat. Maintes fois affirmée, son existence a été tout récemment confirmée à nouveau par cette cour dans Solosky c. La Reine , [1980] 1 R.C.S. 821»
De plus, toujours selon l'analyse du juge Lamer, on peut comprendre que le secret professionnel n'est désormais plus seulement qu'une règle de preuve, mais également une règle de fond :
«De toute évidence la Cour, dans cette cause, appliquait une norme qui n'a rien à voir avec la règle de preuve, le privilège, puisqu'en rien n'y était-il question de témoignages devant un tribunal quelconque. En fait la Cour, à mon avis, appliquait, sans par ailleurs la formuler, une règle de fond et, par voie de conséquence, reconnaissait implicitement que le droit à la confidentialité, qui avait depuis déjà longtemps donné naissance à une règle de preuve, avait aussi depuis donné naissance à une règle de fond.»
Les tribunaux canadiens, dans leur réflexion sur la nécessité de révéler ou non certaines informations protégées par le principe du secret professionnel, basent leur analyse en comparant deux types d'intérêts publics bien disctincts. D'une part, on retrouve l'intérêt de la bonne administration de la justice et la recherche de la vérité. D'autre part, on retrouve l'intérêt de protéger certains droits fondamentaux. Selon les circonstances, les tribunaux peuvent toutefois limiter la circulation de l'information privilégiée ou encore édicter certaines conditions quant à la communication des renseignements obtenus en confidence.
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8.ROYER, J.-C., Le secret professionnel - Règles générales dans La preuve civile, 3e édition, 2003, EYB2003PRC44
9.Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254
10.J.-L. BAUDOUIN, Secret professionnel et droit au secret dans le droit de la preuve , Paris, L.G.D.J., 1965
11.Descôteaux c. Mierzwinski , [1982] 1 R.C.S. 860, 876.
La jurisprudence québécoise a, quant à elle, affirmé que le secret professionnel n'était qu'un privilège accordé aux médecins pour leur permettre de refuser de rendre témoignage. L'arrêt Cordeau c. Cordeau12 est bien clair à ce sujet.
D'autre part, la jurisprudence canadienne a distingué le droit fondamental d'un client à la confidentialité des communications qu'il a transmises à un professionnel et le privilège de ce client de s'opposer à ce que ce professionnel divulgue en justice le contenu de cette communication. Sauf dans le cas du privilège avocat-client, la jurisprudence canadienne refuse généralement de reconnaître un privilège à d'autres catégories de professionnels.
Conclusion
En conclusion, nous pouvons dire que le secret professionnel est l'obligation imposée à tout membre d'une corporation professionnelle de respecter une certaine confidentialité dans ses rapports avec ses clients. Tous les mandataires, employés et associés de ces professionnels sont également tenus de respecter le secret. L'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne est la pièce maîtresse en ce qui concerne ce concept. Sa portée est de nature constitutionnelle et ne peut être dénuée d'effets que dans deux situations bien spécifiques. La première s'agit du cas où le titulaire du droit au secret y renonce explicitement ou tacitement. La suivante est celle où une règle de droit vient annuler le bénéfice du secret professionnel. Finalement, les 4 conditions du test de Wigmore permettent de déterminer si une communication peut être protégée par le principe du secret professionnel.